A l'heure où comme le branle-bas de combat chez différents ministères sur cette question du commerce électronique après le dernier conseil ministériel sur le sujet, nous avons jugé instructif de donner plus de visibilité à cette réaction d'un de nos lecteurs, professionnel du secteur.
« La situation tunisienne est simple. Pour un entrepreneur qui voudrait se lancer, il existe d'énormes potentiels à l'exportation, alors qu'il n'y a tout simplement aucun avenir sur le marché intérieur à court terme. Comme frein sur le marché intérieur, vous évoquez le très faible usage des cartes bancaires et donc la difficulté du paiement en ligne. C'est vrai, mais il est un autre gros écueil à l'autre bout de la chaîne : la livraison ! Dans tous les pays où le secteur de la vente à distance est important, et le e-commerce en fait partie, le service postal est de qualité. L'essentiel des livraisons repose sur la capacité des postes nationales à traiter des colis dans un délai raisonnable, à des coûts réduits, avec une fiabilité importante (pas de colis égarés). Le service colis de Deutsche Post en Allemagne ou celui de Belgium Postal Services en Belgique sont performants, Coliposte filiale de La Poste en France essaie d'être à niveau : référentiel de toutes les adresses possibles sur le territoire, identification individuelle des colis par code barre, « tracking » (suivi) des colis en ligne, gestion des retours. Parfois, les délais ne sont pas tenus, mais ça finit par arriver dans 99,7% des cas.
Supposons que, demain, j'ai 5 000 clients individuels à livrer, répartis dans toute la Tunisie, combien recevront leur commande, dans combien de temps et à quel tarif unitaire ? En Allemagne, une majorité de clients paient leur commande au facteur, à réception du colis, le fameux « paiement contre-remboursement », formule avantageuse qui garantit au commerçant de ne pas avoir d'impayé et au client de payer ce qu'il prend, comme en magasin. Est-ce imaginable en Tunisie ?
A l'export, en revanche, tout est théoriquement ouvert, parce qu'il existe une demande solvable. La « mondialisation », le consommateur l'a intégrée, il n'a pas d'opposition de principe à acheter directement loin. Cependant, il faut être compétitif : face à La Redoute.fr dans les vêtements et la déco ou cdiscount.fr dans beaucoup de domaines, quel sera son avantage soit de prix, soit de qualité, soit d'originalité ? Concevoir un site performant, contrairement aux idées reçues, ça coûte cher, aussi cher que de bâtir un beau magasin. Ca commence par avoir bien positionné son offre, puis savoir la mettre en valeur avec de belles photos et des textes bien écrits et sans faute de grammaire ni d'orthographe, dans chacune des langues des pays visés. Très peu de sites web tunisiens actuels peuvent y prétendre. Celui de Doremail est peut-être le meilleur sur le plan de l'esthétique, l'ergonomie nécessiterait encore des améliorations. Et il faut réinvestir continuellement, pour renouveler les offres, les contenus, acheter des mots-clés sur les moteurs de recherche pour générer du trafic, collecter légalement de nouvelles adresses e-mails (en Tunisie, aujourd'hui, on spamme, mais dans tous les pays occidentaux, ces pratiques sont désormais passibles de prison et de lourdes amendes). D'ailleurs, les e-mails postés depuis la Tunisie n'arrivent quasiment plus à leurs destinataires occidentaux, les filtres anti-spam les éliminent systématiquement, tous mes amis parisiens ne reçoivent plus mes mail sur mon adresse.tn… De plus, il faut qu'il soit rassuré sur la fiabilité du commerçant, depuis le paiement en ligne jusqu'à la livraison. De ce point de vue, comme je l'ai expliqué aux autorités, il faut utiliser les systèmes de paiement sécurisé en vigueur sur les marchés visés : un système français pour le marché français, un système allemand pour le marché allemand, etc. Ce n'est pas une question technologique, c'est une évidence culturelle indiscutable. Ensuite, la question logistique demeure un facteur bloquant. Les prix pratiqués par La Poste et Rapidpost sont trop élevés, les délais insuffisamment garantis. Quant à travailler avec des prestataires logistiques européens spécialisés dans le traitement des colis de VAD, encore faudrait-il avoir accès aux plateformes logistiques modernes dont on parle depuis 4 ans… Ceux qui me connaissent savent que j'ai fondé un site marchand exportateur de l'artisanat, LENARGHILEBLEU.COM, en 2003, avec de grandes ambitions, tout en enseignant le e-commerce à l'IHEC. 18 mois plus tard, je suis rentré en France, où j'ai travaillé dans de grandes entreprises de distribution « multicanal » (e-commerce, boutiques et catalogues papier), le BHV (Galeries Lafayette), puis les jardineries DELBARD. A l'époque, l'impossibilité de trouver des investisseurs tunisiens pour m'accompagner a laissé ce site à l'état de simple projet. Ces 4 dernières années, le e-commerce a connu en Europe des taux de croissance de +35 à + 60 % par an, soit un quadruplement du marché : 8 milliards d'€ de CA rien qu'en France en 2006 ! Pendant ce temps-là, au Maroc, je constate que ça avance plus vite et plus solidement. Les sites de e-commerce qui se sont créés dans les années 2002-2003 sont presque tous sortis du rouge au bout de 3 à 4 ans, et ont pris une valeur certaine. Alors, oui, tournons la page du site «welcome to Tunisia» et du e-dinar, et cherchons à rattraper le temps perdu» !