Exercer comme consultant indépendant exige un professionnalisme sans faille, des réseaux étendus de relations et la faculté de gérer l'incertitude.
Anne-Françoise Marès , 01 DSI (n° 30), le 09/03/2007 à 07h00
« Fini les traquenards politiques et les luttes de pouvoir ! » Tous les anciens directeurs des systèmes d'information devenus consultants indépendants s'en réjouissent. Enfin soulagés des multiples tensions de ce poste à risque, où l'on ne se maintient entre deux et quatre ans, selon le cabinet ITHead Search. C'est dire si le rythme de la valse y est rapide et les fauteuils, éjectables. Dans un contexte astreignant et laborieux, les entreprises, jour après jour, leur en demandent toujours plus.
Luc Martin, ancien directeur des systèmes d'information dans le secteur bancaire, ne s'en cache pas : « Je me suis lassé de ce rôle délicat à tenir sous la pression croissante de directions métier incapables de formuler leurs attentes. » Sans oublier d'y ajouter la fréquence des changements de directeurs généraux. Dont les approches successives des systèmes d'information et les attentes varient souvent du tout au tout : valeur ajoutée pour les uns, centre de coûts pour les autres... Ce qui entraîne des désaccords avec la direction informatique et conduit parfois à la rupture. Comme le souligne Jean-Louis Rimbod, qui a quitté la Camif en 2003, « il est difficile d'accepter une décision lorsqu'elle contrarie ses propres options ».
Devenir prophète à son tour
Luc Martin fait figure d'exception. Fin 1999, il choisit de devenir consultant indépendant après une longue carrière de salarié. Il a alors 56 ans. « Je ne regrette pas ce rôle de DSI pressuré à souhait ! » Et de préciser : « Les cabinets de conseil qui vendaient leurs prestations aux directions métier et à la direction générale avaient le beau rôle. Ils étaient assez facilement prophètes là où je ne l'étais pas. J'ai donc décidé de changer de casquette. Je suis devenu prophète ! »
Des divergences majeures avec la direction générale se soldent fréquemment par un départ négocié, à l'invite du dirigeant ou à l'initiative du DSI, qui se voit mal dans un placard, fût-il doré. Se pose alors la question : devenir indépendant ou intégrer de nouveau une entreprise ? Pour Guillaume Bruckert, les charmes de la Côte d'Azur ont prévalu : « Comme il n'existait pas dans la région de direction des systèmes d'information aux dimensions que je recherchais, j'ai préféré me mettre à mon compte et offrir mes services. » A l'époque, en 1999, il avait à peine 40 ans et venait de quitter la direction des systèmes d'information d'une caisse de retraite. Au début 2003, Charles Canetti, polytechnicien (promotion 67), quitte Geodis, où il a créé la DSI centrale. Deux facteurs déterminent son orientation vers le conseil : l'âge - il est plus ardu de trouver un poste à 54 ans - et le désir d'indépendance - « j'ai une liberté absolue qui correspond à ma personnalité. »
Au même âge, Jean-Louis Rimbod s'est trouvé dans une situation semblable. Avec le recul, il admet être parti avec une grande satisfaction, en raison d'une certaine usure. Resté vingt-deux ans dans la même entreprise, dont onze à la tête de la DSI, il regrette de ne pas avoir bougé davantage. Quant à Nord Zoulim, ingénieur-conseil, il a mis à profit son départ de la Caisse des dépôts, en 2004, pour se former en psychothérapie : « J'ai pris du recul pour respirer. » Une pause qui ne manquera pas de lui apporter une autre approche face aux problèmes de communication en entreprise, où les composantes psychologiques ne sont pas neutres.
Interprète et passeur entre deux mondes
Volontaire ou non, le passage au conseil et à l'indépendance, après des années dans le giron d'une organisation, représente un saut dans l'inconnu. Même si les facilités accordées par les Assedic ou le recours à des sociétés de portage salarial jouent le rôle de parachutes.
Avant de s'établir à son compte, Luc Martin a travaillé deux ans au cabinet de conseil PricewaterhouseCooper. « J'y ai beaucoup appris sur le métier, la façon de trouver des clients, de les aborder, de conduire une mission et de garder le cap. » Il est vraiment indépendant depuis deux ans. Son coeur de métier ? Jouer un rôle de conseil auprès de la direction générale tout en aidant avec clarté le directeur des systèmes d'information. « Je me considère comme une charnière, une sorte de tiers de confiance parlant leurs deux langages », précise-t-il. Ses missions se déclinent autour de la stratégie informatique : schémas directeurs, élaboration de tableaux de bord pour les DSI, coaching. Son constat ? Les problèmes sont toujours à peu près les mêmes : le coût de l'informatique, lamaîtrise des projets, le dialogue avec les métiers.
Guillaume Bruckert s'est lancé sans attendre dans l'aventure. L a signature d'un contrat d'une année pour refondre le système d'information de la gestion d'un groupe l'aide à envisager l'avenir avec sérénité. Sa stratégie ? « Une fois entré chez un client, je cherche à continuer avec lui. » Ainsi, de mission en mission, il a pu collaborer jusqu'à trois ans avec la même entreprise. Souvent appelé en pompier sur un projet, il n'hésite pas à proposer ses services pour aplanir des difficultés décelées sur d'autres thèmes. Il peut s'agir de mettre en place une autre organisation, de proposer un nouveau schéma directeur ou de monter une équipe de gouvernance.
L'expérience acquise au cours de leur carrière donne à ces consultants un capital de connaissances fabuleux. Dégagés de toute contrainte hiérarchique, ils s'expriment avec une totale liberté de ton. Résidant à Niort, Jean-Louis Rimbod adopte une démarche analogue : son premier rebond, dans une société d'assurances, a duré dix-huit mois. Depuis, les missions se succèdent, avec une spécialisation : la coordination de projets techniques.
De son côté, lorsque Henri Kayser quitte le groupe Axa en 2001, il hésite à se lancer en solo. Et se laisse tenter par un poste à la Caisse nationale de prévoyance (CNP). Mais après une année, il se retrouve dans une situation identique. Alors, au début 2003, il franchit le pas. La création d'Axatech, structure regroupant l'exploitation informatique de l'assureur Axa, l'a confronté aux problématiques de l'infogérance. Plusieurs missions de ce type lui sont confiées. Il fournit à ses interlocuteurs les étapes et les clés nécessaires à la réussite de ces opérations si délicates à mettre en oeuvre.
Pour sa part, Charles Canetti a créé sans délai sa propre société, Aramis. « En réalité, confie-t-il, je n'ai pas changé de métier. Je conseille et j'interviens comme DSI de transition. » Avec un appui de taille : celui des réseaux. L'un, Amadeus-Dirigeants, réunit une cinquantaine de managers de transition représentant les diverses fonctions de l'entreprise. Outre la richesse d'une multitude d'expériences professionnelles, Charles Canetti y puise un soutien dans des domaines de compétences différents des siens. « L'année dernière, lors d'une mission dans des affaires franco-néerlandaises, j'y ai trouvé un éclairage précieux sur la culture des Pays- Bas. » Les autres réseaux sont d'ordre technique. Une fois les besoins du client circonscrits, il monte ainsi rapidement une équipe sur mesure.
De même, Nord Zoulim travaille en réseau, mais pour des missions ponctuelles et courtes. « En une dizaine de jours, je donne mon diagnostic, puis oriente l'entreprise vers des spécialistes. »
Un profil psychologique singulier
Devenir consultant indépendant ne s'improvise pas. « Entrer dans le conseil forme un vrai virage. La différence est grande entre décider et faire, s'asseoir et intervenir techniquement, avertit Jurgen Bastian, directeur associé du cabinet IT Head Search. Parmi les nombreuses candidatures d'anciens directeurs informatiques que je reçois, peu présentent un profil de conseil. » Un avis partagé par Luc Martin : « Quand j'ai voulu évoluer vers le conseil, on ne m'a parlé que d'exemples d'échecs. C'est un réel changement de rôle, et même de votre image propre. »
Parmi les anciens DSI à présent à leur compte, la plupart occupent un poste dont les missions s'apparentent à celles qu'ils ont déjà exercées. Ainsi, Guillaume Bruckert ne rechigne pas à mettre la main à la pâte pour mener à terme un projet qu'il préconise. A l'occasion de fusions, certains poussent même l'exercice des responsabilités jusqu'à gérer des équipes de centaines d'informaticiens, le temps de mettre les systèmes en adéquation. Dans ses activités, Charles Canetti distingue ses missions de conseil (audit, mentor pour DSI, accompagnement du directeur général) et opérationnelles, où il prend rapidement le contrôle des événements.
Ne devient pas consultant indépendant qui veut. Cela exige un profil psychologique adapté. Luc Martin reconnaît s'être fait soutenir dans sa réflexion avant de se lancer. Un consultant, certes, doit d'abord exceller dans son métier. Et ce n'est pas si simple après être devenu, au fil du temps, un DSI généraliste. D'où l'importance de cerner au préalable les compétences où l'on excelle. Création ou refonte de systèmes d'information ? Opérations d'infogérance ? Fusion d'équipes ? Accompagnement du changement ? Une réflexion utile pour mieux se vendre. De ce point de vue, les indépendants ayant assumé des postes avec des responsabilités commerciales s'en félicitent. « J'ai été beaucoup aidé, insiste Charles Canetti, car j'ai occupé des fonctions où j'ai appris à vendre. » Et Henri Kayser bénéficie de son passage chez le constructeur Amdahl comme responsable des services pour l'Europe.
Mais cette capacité ne suffit pas si le relationnel fait défaut. Les missions où le consultant entre en contact avec de nombreux intervenants, de la direction générale aux équipes informatiques, réclament le sens des relations humaines. Comme de cultiver son ou ses réseaux. Nul ne s'en cache : la plupart des contrats engrangés en proviennent. Réseaux de DSI en poste, de fournisseurs informatiques, d'anciens collègues... « Lorsque je quitte une mission, expose Guillaume Bruckert, je préviens toutes les personnes avec lesquelles j'ai des affinités professionnelles, dans les entreprises utilisatrices ou dans les sociétés de services en informatique. »
Autre pierre d'achoppement : l'acquisition des nouvelles technologies. Les DSI consultants se doivent de suivre les évolutions techniques, sous peine de partir à la dérive. D'où l'importance de participer à des séminaires de fournisseurs, à des réseaux de consultants, et de rester proches des opérationnels.
Des services facturés de 1000 à 2 000 euros par jour
Si certains consultants se réjouissent d'enchaîner mission sur mission, ce n'est pas le cas de tous. Mieux vautmaîtriser ses besoins d'argent, rappelle Charles Canetti, car les rentrées s'avèrent variables dans le temps. En général, plus la prestation est courte, plus la rémunération se montre élevée.
Mais la vraie question consiste à évaluer le nombre de jours occupés sur l'année, et le temps passé à se former et à vendre. Travailler entre deux cents et deux cent vingt jours par an en facturant sa prestation 1300 euros par jour assure des revenus confortables, proches de ceux d'un directeur des systèmes d'information salarié d'entreprise. Selon les sociétés et le type de missions effectuées, la facturation de la journée varie entre 1000 et 2 000 euros. Et les revenus nets du consultant, par rapport au salariat, subissent une baisse de l'ordre de 20 à 25 %. C'est le prix de la liberté, et du sentiment de maîtriser sa destinée. Une valeur que les anciens DSI apprécient de plus en plus au gré du temps. Même à charge de travail égale, voire supérieure.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire